Les femmes revendiquent une part du boom de l' »or rouge » en Guinée

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Au lieu de récolter les bénéfices du marché croissant de la bauxite en Guinée, les femmes en ont payé le prix fort. Elles tentent aujourd’hui de changer les choses, écrit Hadja Aicha Barry de Publiez Ce Que Vous Payez Guinée.

Lorsque le président guinéen Alpha Condé a été renversé le 5 septembre 2021 après 11 ans passés au pouvoir, les commentateurs internationaux n’ont pas tardé à souligner le fossé entre la pauvreté persistante de la Guinée et sa transformation en une puissance minière.

L’essor minier de la Guinée est dû aux vastes gisements de bauxite, la roche rougeâtre à partir de laquelle l’aluminium est produit, qui se trouvent sous la surface de notre sol. Nous en sommes le deuxième plus grand producteur au monde et possédons des réserves plus importantes que tout autre pays. La Chine importe de chez nous près de la moitié de sa bauxite et, avec la Russie, elle a investi des milliards de dollars dans l’exploitation minière en Guinée. Nos exportations sont passées d’un montant de 597 millions de dollars américains en 2015, à  3,3 milliards de dollars en 2020.

Cet essor ne s’accompagne pourtant pas d’une nouvelle ère de prospérité pour la population. Une grande partie des 13 millions de Guinéens restent prisonniers de la pauvreté, leur vie étant aussi précaire aujourd’hui qu’en 2015. Pendant les années où nos exportations de bauxite ont explosé, notre Indice de Développement Humain est resté désespérément bas. Et les femmes, en particulier, ne profitent pas des dividendes de l’exploitation minière.

Dysfonctionnement

L’incapacité à traduire le boom de la bauxite en Guinée – notre « or rouge » – en bénéfices tangibles pour la majorité de notre peuple, est liée au dysfonctionnement qui ronge le secteur minier guinéen depuis des années.

Ce dernier a fait l’objet d’accusations de corruption et de dommages environnementaux. Les communautés vivant à proximité des mines voient certains de leurs droits humains violés, lorsque des compagnies minières multinationales les chassent de leurs terres ancestrales.

Mais si tout cela est bien documenté, deux éléments importants sont souvent ignorés : l’impact disproportionné de l’exploitation minière sur les femmes et le peu de place accordée à leur voix dans les décisions concernant le secteur.

Les femmes paient le plus lourd tribut

La Guinée, comme tant d’autres pays, souffre d’inégalités liées au genre. Notre société est fortement dominée par les hommes, et les rôles décisionnels des femmes, tant au sein de nos propres familles que dans la société en général, sont souvent limités en raison de facteurs socioculturels.

Étant engagée pour une meilleure gouvernance des ressources naturelles, particulierement en tant que membre de la coalition guinéenne de Publiez Ce Que Vous Payez, un mouvement mondial agissant pour un secteur extractif transparent et redevable, je vois quotidiennement comment ces inégalités se reflètent dans l’exploitation minière. Les femmes bénéficient moins des avantages du secteur que les hommes, et subissent davantage ses conséquences négatives.

À Boké, la région du nord-ouest où se concentre le boom de la bauxite en Guinée, les dommages causés par l’exploitation minière comprennent la baisse de la fertilité des sols ; la diminution des terres disponibles pour la culture ; la pollution des terres par le dépôt d’une poussière rouge chargée de particules fines répandues par les camions qui transportent la bauxite, ainsi que des pénuries d’eau, le manque d’électricité ;  d’infrastructures de base ( routes, écoles, centres de santé etc.….). Les femmes en sont les premières victimes : ce sont elles qui doivent trouver d’autres sources de nourriture et voyager plus loin pour aller chercher de l’eau et du bois de chauffe. En cas de déplacement forcé, elles n’ont souvent aucun droit liés à la propriété des terres et ne reçoivent pas de compensation. Elles sont enfin exposées à la violence basée sur le genre, un fléau dans les zones minières.

Pourtant, ce sont les hommes que les mines emploient le plus souvent, et les dirigeants communautaires masculins qui reçoivent généralement une compensation financière des sociétés minières pour leurs activités dans leur région. Les femmes sont également sous-représentées dans les sphères administratives, politiques et dans les entreprises minières. Selon l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE)-Guinée – et grace au plaidoyer que nous avons mené pour obtenir des données désagrégées par sexe – sur environ 20 sociétés minières actives répertoriées à Boké, une seule femme occupait un poste de direction en 2019.

La voie à suivre

Aux côtés d’autres femmes de la société civile, je me bats pour que nous soyons mieux représentées dans le secteur minier en Guinée et pour que nous recevions une part équitable des bénéfices du secteur.

Concrètement, cela signifie travailler à tous les niveaux : auprès des communautés d’abord, en les sensibilisant aux droits des femmes et en suscitant l’intérêt des femmes pour la gouvernance des industries extractives au niveau local. Auprès des entreprises ensuite, notamment en les poussant à établir des quotas pour les femmes employées et à créer des partenariats avec les femmes au niveau local.  Auprès des autorités enfin, pour par exemple nous assurer que 20% du fonds de développement local versé par les entreprises extractives bénéficient aux femmes.

Mais il nous faut aussi un cadre plus global, et c’est pourquoi nous demandons une politique nationale, et notamment un code minier, sensibles au genre. En tant que membre de l’ITIE, la norme mondiale de bonne gouvernance dans le domaine du pétrole, du gaz et des ressources minérales, la Guinée doit encourager le leadership des femmes dans le secteur extractif. Nous veillons à ce que nos autorités prennent des mesures concrètes dans ce sens.

Tout ceci contribue à mettre fin à la misère que l’expansion de l’exploitation minière a apportée à de nombreuses femmes guinéennes.

Grâce à d’autres actions – notamment l’amélioration de la transparence et de la responsabilité de l’industrie minière par la publication intégrale des contrats miniers, et le partage plus équitable des bénéfices tirés de nos ressources naturelles, la Guinée peut mettre fin à la « malédiction des ressources » qui a accompagné sa croissance en tant que puissance minière. Nos abondantes réserves de bauxite pourront alors être une bénédiction pour tout notre peuple et contribuer à renforcer le fragile tissu politique et social de la Guinée.

Hadja Aicha Barry est membre fondatrice et Vice-présidente de PCQVP Guinée, et membre du comité de pilotage de l’ITIE-Guinée, où elle travaille particulièrement sur les droits des femmes. Elle a fondé la Coalition Guinéenne des Femmes pour les Mines et le Développement Durable.

Cette opinion a d’abord été publiée dans le média Deutsche-Welle Afrique.

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