Rapport de la conférence Afrique 2023 de PCQVP

Le monde doit ralentir le changement climatique pour éviter des conséquences catastrophiques, et doit pour cela remplacer les combustibles fossiles par des sources d’énergie plus propres. En juin, la Conférence Afrique 2023 s’est tenue à Saly, au Sénégal, pour trois jours d’établissement de relations, de réflexion et d’élaboration de stratégies sur la manière dont nous pouvons nous attaquer à ce problème et œuvrer à une transition énergétique collaborative et équitable pour l’Afrique. Notre rapport présente les points forts et les discussions de l’événement.

Lire le rapport

Réunis en personne pour la première fois depuis 2019, nous avons travaillé à renforcer le pouvoir collectif et la capacité du réseau africain à accélérer la gouvernance responsable, durable et équitable du secteur pétrolier, gazier et minier dans le contexte de la crise climatique.

 

Découvrez quelques-uns des points forts de la conférence dans, regardez les sessions ou jetez un coup d’œil aux photos du jour un, jour deux and jour trois.

Enquête auprès des coordinateurtrices nationauxales 2023 : aperçu des actions de la coalition

Le secteur extractif se caractérise depuis longtemps par une mauvaise gouvernance et un manque de transparence qui contribuent notamment aux pratiques de corruption, aux violations des droits humains et à la dégradation de l’environnement – autant de facteurs qui mettent en danger les personnes et la planète. Relever ces défis revient à lutter contre des intérêts puissants et bien ancrés, et peut donc nécessiter des années de plaidoyer. 

Sur 51 coordinateur·rice·s nationaux·ales de PCQVP, 39 ont répondu à la dernière enquête annuelle qui vise à suivre la progression de la mise en œuvre de notre stratégie « Vision 2025 ». L’enquête révèle un aperçu des processus, dont le déploiement nécessite parfois plusieurs années. Cette année, les réponses soulignent que les coalitions PCQVP du monde entier s’attachent de plus en plus à garantir une transition énergétique équitable, dans un contexte de mouvement mondial vers la décarbonisation face à la crise climatique.

Faire pression pour une meilleure gouvernance 

Dans l’ensemble, le message des coordinateur·rice·s nationaux·ales qui ont répondu à l’enquête s’est avéré positif.

Selon la plupart d’entre eux·elles (85 %), leur coalition a eu une influence sur la gouvernance des ressources naturelles au cours des 12 derniers mois, et 64 % des répondant·e·s ont signalé au moins une certaine progression dans leur capacité à utiliser les données pour renforcer la gouvernance.

Les coordinateur·rice·s nationaux·ales ont déclaré que les principaux jalons marquant la progression étaient les suivants :

  • Donner aux communautés et aux groupes vulnérables les moyens d’exiger des entreprises et des gouvernements le respect de leurs obligations.
  • Faire pression pour obtenir de meilleurs contrats et plus de revenus – et veiller à ce que les fonds soient mieux utilisés et distribués.
  • Renforcer les cadres politiques et juridiques pour permettre une meilleure surveillance et une meilleure protection de l’intérêt général.
  • Susciter des débats nationaux de haut niveau sur les avantages et les inconvénients de l’extraction pour promouvoir l’intérêt général dans la prise de décision.

Dans leurs réponses à l’enquête, les coordinateur·rice·s nationaux·ales d’Afrique orientale et australe donnent des exemples concrets d’actions qui illustrent ces succès.

 Aperçu : Afrique orientale et australe  

Au Zimbabwe, l’analyse des données fiscales effectuée par la coalition PCQVP a révélé que les exonérations fiscales pour les sociétés minières et autres entreprises ont entraîné des centaines de millions de dollars de pertes fiscales. La coordinatrice nationale de PCQVP Zimbabwe, Joyce Nyamukunda, a expliqué comment la coalition s’est appuyée sur cette analyse pour déclencher des réunions avec les autorités fiscales et budgétaires et les ministères. L’objectif était de faire pression pour savoir qui bénéficie des exonérations fiscales et pourquoi, ainsi que de plaider en faveur de la suppression de ces exonérations fiscales qui réduisent les prestations pour les citoyen·ne·s et les revenus destinés aux collectivités.  

Pendant ce temps, la coalition PCQVP en Tanzanie, HakiRasilimali, a organisé une conférence nationale sur l’extraction pour débattre de l’avenir de l’extraction dans le pays : elle a réuni des représentant·e·s communautaires, des universitaires, des OSC, des membres du gouvernement et de l’Assemblée nationale, des médias, des ONGI et des sociétés extractives. Lors de la conférence, le ministère tanzanien des Minéraux s’est engagé à élaborer une stratégie de gestion des minéraux essentiels dans le pays et à définir sa contribution à la transition vers l’énergie propre. 

PCQVP Zambie a organisé un Alternative Mining Indaba et a permis de renforcer les politiques gouvernementales en matière de diversification économique et de domestication de la valeur de l’extraction.  

En 2022, une partie du travail de PCQVP Kenya a consisté à renforcer les connaissances des femmes et des groupes communautaires en matière de suivi environnemental et de partage des bénéfices. L’objectif était qu’elles disposent des données nécessaires pour participer plus efficacement aux négociations avec les entreprises et les autorités locales.   

Faire pression pour une divulgation plus large et de meilleure qualité 

Selon l’enquête de 2023, la divulgation des données spécifiques reste un outil clé du réseau pour faire pression en faveur d’un bon niveau de gouvernance et de redevabilité.

Sur les 38 coordinateur·rice·s nationaux·ales, les 30 (soit 79 %) qui ont répondu ont signalé quelques progrès concernant les pressions exercées pour obtenir des données en plus grand nombre et de meilleure qualité.  

Aperçu : propriété réelle et divulgation des contrats 

Au Nigeria, par exemple, la coalition PCQVP a contribué à la mise en place d’un registre de propriété réelle, tandis que PCQVP Indonésie a contribué à améliorer les taux de divulgation de la propriété réelle. PCQVP Canada a obtenu l’engagement du gouvernement de mettre en place un registre public de propriété réelle en 2023, après cinq années de plaidoyer de la coalition.  

L’enquête a également montré que davantage de coalitions ont rejoint la lutte pour la divulgation des contrats ; elles sont aujourd’hui 26 en tout.  Pour certaines coalitions, l’accent était mis sur l’accès à des contrats spécifiques – tels que le contrat pétrolier Rosneft au Liban – afin de les examiner et de faire des recommandations publiques sur la manière dont les accords doivent être améliorés.  

Dans d’autres pays, comme la RDC, le Nigeria et le Yémen, les efforts de la coalition se sont concentrés sur la création de nouvelles règles de divulgation des contrats. La coalition PCQVP Mali a obtenu la publication de 100 contrats miniers.

Autonomisation des communautés et des groupes exclus 

Au cœur de la théorie du changement de PCQVP se trouve l’autonomisation des communautés et des groupes exclus, afin qu’ils aient leur mot à dire dans les décisions qui les concernent. L’enquête de 2023 a montré que le réseau menait de nombreuses actions dans le cadre de cette approche en 2022.  

Sur les 38 coordinateur·rice·s nationaux·ales, les 32 (soit 81 %) ayant répondu à l’enquête ont déclaré que leur coalition avait réalisé au moins quelques progrès pour augmenter la participation des communautés, des femmes et des jeunes dans la gouvernance extractive en 2022. 

Aperçu : autonomiser les communautés et les groupes vulnérables 

Par exemple, les coordinateur·rice·s nationaux·ales du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, du Gabon, de Guinée, d’Inde, du Mozambique, du Nigeria et de la Sierra Leone ont tou·te·s signalé que les coalitions étaient à l’œuvre pour s’assurer que les communautés et les groupes exclus étaient mieux représentés dans la prise de décision concernant les fonds miniers communautaires.  

Plusieurs coalitions ont également pris des mesures positives pour renforcer l’engagement des groupes exclus au sein de la coalition elle-même, notamment en Indonésie, en Irak, au Liban, en Mauritanie, en République du Congo, au Tadjikistan, en Tanzanie, en Ouganda et au Zimbabwe

Élargir le mandat : le climat et la transition énergétique

Les questions critiques entourant la transition énergétique sont devenues de plus en plus pertinentes pour les coalitions PCQVP. Les coalitions PCQVP du monde entier réagissent face à l’explosion de la demande d’énergies renouvelables.

Alors que les enquêtes précédentes se caractérisaient par une absence de références à la crise climatique et à la transition énergétique, l’enquête de 2023 révèle, que selon 22 coordinateurrices nationaux·ales sur 38 (soit 58 %), leurs coalitions se sont engagées d’une manière ou d’une autre sur ces questions au cours des 12 mois précédents. L’autre enseignement de cette enquête est qu’elles sont sensiblement autant à avoir participé à une planification commune avec d’autres coalitions PCQVP sœurs sur la question de la résolution des problèmes critiques qui se posent dans un contexte de mouvement mondial vers une décarbonisation rapide.  

Progression concernant la connectivité du réseau 

L’enquête de 2023 montre que les coordinateur·rice·s nationaux·ales et le Secrétariat international de la PCQVP ont continué à avancer ensemble pour promouvoir la connectivité du réseau : les coalitions PCQVP participent aujourd’hui à davantage d’actions communes, et elles sont de plus en plus nombreuses à adopter de nouvelles approches de plaidoyer apprises au contact de coalitions sœurs.  

Aperçu : collaboration dans les régions MENA et EURASIE

En Eurasie, par exemple, les coalitions d’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan et d’Ukraine se sont associées pour plaider en faveur de la transparence des contrats, ce qui a permis (entre autres) à la coalition tadjike de persuader le gouvernement de publier les licences d’exploitation minière et les données sur la propriété réelle.  

Dans la région MENA, les coordinateur·rice·s nationaux·ales d’Irak, du Liban, de Tunisie et du Yémen se sont réuni·e·s à plusieurs reprises dans le cadre de collaborations très engagées sur des questions telles que la divulgation des contrats, l’ITIE, l’espace civique et la transition énergétique. 

Changements de contexte en 2022

Selon la plupart des coordinateur·rice·s nationaux·ales, les impacts immédiats de la COVID-19 se sont atténués en 2022, bien qu’ils aient continué de perturber un plus petit groupe de coalitions.

Ils/elles ont également indiqué que, dans l’ensemble, les menaces pesant sur les droits des membres de la coalition et les restrictions de l’espace civique avaient diminué par rapport à 2021. Cependant, les menaces sur l’espace civique persistent pour un nombre non négligeable de coalitions et restent un défi constant pour le réseau. Elles intègrent un faisceau plus large de menaces pesant sur l’espace civique : le rapport Civicus, qui vient d’être publié, montre que seulement 3,2 % de la population mondiale vit dans des pays où l’espace civique est jugé ouvert.

Genre

Les réponses à l’enquête nous ont montré que nous avons encore du travail à faire pour diversifier la représentation du genre dans le leadership des coalitions nationales depuis 2021.  Les membres de PCQVP se sont engagé·e·s à inscrire toutes nos actions dans une perspective féministe via l’adoption de notre politique de genre qui propose une vision claire, un message cohérent et une approche coordonnée de la promotion de la justice de genre à travers le mouvement. En mars 2023, nous avons publié un plan d’action qui définit des indicateurs qui nous permettront de mesurer nos progrès dans la mise en œuvre de cette politique.

Des enseignements constants !

Les réponses des coordinateur·rice·s nationaux·ales à l’enquête nous ont aidés à dresser un tableau des progrès réalisés et des actions menées dans le réseau. Nous espérons approfondir certains des commentaires afin d’en tirer les enseignements nécessaires pour rendre l’industrie extractive responsable et ouverte, et veiller à ce que les besoins des populations soient au cœur de la transition énergétique.  

Afin de consulter l’ensemble du briefing sur les résultats de l’enquête de 2023 auprès des coordinateur·rice·s nationaux·ales, veuillez cliquer ici

Vers une transition énergétique collaborative et juste pour Afrique

8 – 10 Juin 2023
Saly, Sénégal

 

La conférence Afrique 2023 de Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) aura lieu à un moment où le continent est confronté à des défis écrasants liés à la crise climatique. Pour éviter les pires impacts, le monde doit se sevrer des énergies fossiles et accélérer la transition vers une énergie plus propre et plus sûre.

La transition énergétique est une opportunité pour le continent africain. Pour que la transition énergétique soit juste, les points de vue des personnes vulnérables qui dépendent des industries extractives doivent être entendus, et l’impact sur leur vie pris en compte. Ils doivent faire partie de la solution, ils doivent pouvoir participer à la prise de décision. Et c’est là que PCQVP peut faire la différence.

Réunissant des membres de PCQVP issus de coalitions de 29 pays africains, la Conférence Afrique sera l’occasion de se rassembler, de réfléchir et de débattre du rôle que PCQVP doit jouer pour accélérer l’extraction responsable des minéraux de transition et une élimination équitable des combustibles fossiles. Organisée tous les trois ans, la Conférence Afrique est le principal espace permettant aux membres de PCQVP d’élaborer des stratégies, d’échanger des expériences, d’apprendre les uns des autres et de faire progresser notre collectif, un agenda citoyen pour le secteur extractif sur le continent.

Ce prochain rassemblement sera la septième conférence à avoir lieu et le premier grand événement de PCQVP à se tenir en présentiel depuis le début de la pandémie de COVID-19 en 2020. Notre ambition est de soutenir une délégation de trois membres de chaque coalition, comprenant des femmes, des représentants des jeunes et des leaders autochtones et communautaires.

 

Agenda

Profonde inquiétude suite à la détention de deux membres de PCQVP au Niger

Le Comité de Pilotage Afrique (CPA) de Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) est profondément préoccupé par la détention arbitraire et le harcèlement judiciaire de Abdoulaye Seydou et Adamou Idrissa, tous deux membres de la coalition ROTAB/PCQVP-Niger, et par la détérioration de la situation des défenseur·e·s des droits humains dans le pays.

Abdoulaye Seydou est le coordonnateur du Mouvement M62, un mouvement citoyen axé sur la promotion des droits humains, des droits civils et politiques et sur la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance au Niger. Le 23 janvier 2023, il a été transféré à la prison de haute sécurité de Kollo. 

Adamou Idrissa est le coordinateur national de l’ONG Notre Cause Commune (NCC) au Niger. Il a été arrêté le 9 mars et est détenu depuis lors.

PCQVP est convaincue que la détention arbitraire des défenseurs des droits humains Abdoulaye Seydou et Adamou Idrissa, ainsi que deux autres acteurs de la société civile, Ibrahim Salissou et Lawal Badja, est directement liée à leur travail pacifique et légitime de défense des droits humains. L’organisation demande leur libération immédiate et sans conditions.

“Il est très préoccupant de voir nos collègues détenus pour avoir fait leur travail en dénonçant des actes potentiellement répréhensibles. Un espace civique libre est essentiel pour qu’un pays mette fin à la corruption et encourage la redevabilité. Ces détentions sont inacceptables. Les défenseur·e·s des humains doivent être protégées et non poursuivies.”

a déclaré Fatima Mimbire, présidente du CPA de PCQVP. 

Ces arrestations s’inscrivent dans le cadre d’une détérioration de la situation des défenseur·e·s des droits humains au Niger, où ceux qui luttent contre l’impunité et pour la justice sociale font l’objet de harcèlement judiciaire, notamment de détentions préventives et d’accusations forgées de toutes pièces. Les manifestations pacifiques sont violemment réprimées et les organisateurs·trices sont arrêtées et détenues. 

“Par ailleurs, la détérioration de l’espace civique au Niger dans un contexte de lancement de la validation de l’ITIE Niger est un mauvais signal. Nous appelons les autorités Nigérienne à tout mettre en œuvre pour renforcer la protection des militants afin de donner une chance au succès de l’ITIE dans le pays”

a insisté Christian Mounzeo, Vice-Président du CPA Afrique. 

PCQVP exprime sa solidarité à l’endroit des défenseur·e·s des droits humains au Niger et appelle les autorités à garantir qu’ils·elles puissent travailler librement, sans crainte de représailles.

Recommandations pour une vision africaine commune sur les minerais de transition

Pour tirer le meilleur parti du boom des minerais de transition, les dirigeant·e·s africain·e·s doivent s’unir et agir de toute urgence pour faire en sorte que le marché émergent de ces minerais soit bien réglementé, transparent, juste et équitable. 

Le monde doit cesser de brûler des combustibles fossiles. Le changement climatique est déjà en cours et pour éviter les pires conséquences, nous devons accélérer la transition vers une énergie plus propre et plus sûre. 

En adoptant des technologies d’énergie renouvelable, le monde troquera sa dépendance à l’égard d’une série de ressources naturelles contre une autre. On estime que la production de minerais tels que le cobalt, le lithium, le nickel et le cuivre devra être multipliée par six pour permettre la production, le transport, le stockage et l’utilisation de l’électricité produite par des sources plus propres telles que le vent, l’eau et le soleil. 

Le continent africain abrite une grande variété de ces minerais. 19 % des réserves mondiales de métaux nécessaires à la fabrication d’un véhicule électrique standard alimenté par batterie se trouvent en Afrique. On estime que la République démocratique du Congo possède à elle seule 60 % des réserves mondiales de cobalt. La Zambie est classée septième producteur mondial de cuivre, le Zimbabwe est le sixième producteur de lithium, tandis que Madagascar et le Mozambique possèdent d’importants gisements de graphite.

S’ils sont bien utilisés, les revenus de l’extraction des minerais de transition pourraient être le tremplin du développement des pays africains.

Mais l’extraction des minerais en Afrique est déjà en proie à la corruption, à l’opacité, aux dommages environnementaux et aux violations des droits humains. L’exploitation minière se fait souvent au détriment de la santé et des moyens de subsistance des populations locales. Les recherches indiquent que les femmes et les filles africaines sont touchées de manière disproportionnée par l’exploitation minière, ainsi que les communautés locales et les travailleur·euse·s des secteurs miniers artisanaux et de petite échelle.

Des accords secrets ayant un impact sur des populations entières sont conclus entre les entreprises et les gouvernements, sans que les citoyen·ne·s aient la possibilité de contrôler et de participer à la prise de décision. En conséquence, les revenus de l’extraction profitent souvent à un cercle restreint de personnes et ne se traduisent pas par une amélioration des moyens de subsistance des populations africaines. Les flux financiers illicites pèsent sur les budgets des pays, d’énormes quantités de capitaux étant captées par les élites politiques et commerciales et quittant massivement le continent.

La concurrence féroce, la demande et la recherche du profit dans la ruée vers les minerais de transition vont accroître la pression sur les pays producteurs africains pour qu’ils accélèrent l’octroi de licences et ouvrent l’exploitation minière dans des zones sensibles et à haut risque. Cela laisse le processus ouvert à la corruption et aggrave les violations des droits humains et de l’environnement, en particulier la pollution et la contamination de l’eau et de la terre, qui affectent gravement la santé des travailleur·euse·s et des populations environnantes. 

L’Afrique est également confrontée au défi de voir la plupart de ses minerais essentiels quitter le continent pour être traités ailleurs, les pays africains ne disposant souvent pas des connaissances techniques nécessaires pour assurer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. De plus, les sociétés minières n’investissent pas toujours dans le personnel et les biens locaux, ce qui prive les pays africains d’une partie de leurs ressources.

Une exploitation des minerais de transition entachée de mauvaise gouvernance, de corruption, de surconsommation et de peu d’intérêt pour les populations et l’environnement, ne fera que répéter l’exploitation et les injustices du passé, et exposera le continent africain à un risque accru de pauvreté et d’instabilité, ainsi qu’à une augmentation des violations des droits humains et des dommages environnementaux.

Les dirigeant·e·s africain·e·s doivent s’unir et agir de toute urgence pour assurer que le marché émergent des minerais de transition soit bien réglementé, transparent, juste et équitable. Cela nécessite un effort coordonné urgent pour transformer la manière dont les minerais sont extraits, traités et consommés, en plaçant les populations africaines – et les communautés locales en particulier – au centre de toute décision qui les concerne.

Pour garantir une extraction, un approvisionnement et un traitement responsables des minerais de transition qui contribuent à une transition énergétique réussie en Afrique, les gouvernements, les entreprises, les institutions internationales et les investisseurs doivent :

 

Placer les personnes et la planète au cœur du processus : 

  • Fonder toutes les décisions relatives à l’extraction sur une évaluation globale des coûts et avantages réels de l’extraction et du traitement des minerais. Cette démarche ne se limite pas aux revenus, mais vise également à étudier les répercussions sur les personnes, l’environnement, la biodiversité et le climat, au travers d’études et d’enquêtes sociales et économiques objectives et approfondies, y compris des consultations directes et inclusives des personnes et des communautés touchées sur le terrain. 
  • Respecter les zones d’exclusion minière pour protéger les personnes et l’environnement dans les zones à haut risque.
  • Garantir une consultation et une participation significatives et inclusives de toutes les communautés touchées directement ou indirectement par l’exploitation minière. L’obligation d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones doit être perçue en tant que priorité et respectée, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Leur droit de donner ou de refuser leur consentement doit être garanti à tous les stades de l’extraction.
  • Extraire uniquement les minerais conformément aux normes internationales les plus rigoureuses en matière de droits humains et de l’environnement, au moyen d’une diligence raisonnable, transparente et respectueuse de l’égalité de genre. 
  • Réglementer et surveiller le secteur de l’exploitation minière artisanale et de petite échelle, afin de protéger les travailleur·euse·s contre les violations des droits humains et de lutter contre la corruption.
  • Garantir un contrôle efficace et indépendant des dispositifs de réclamation ainsi que des mesures d’atténuation et de correction mises en place par les entreprises.
  • Soutenir un moratoire mondial sur l’exploitation minière en eaux profondes, jusqu’à ce que des recherches scientifiques adéquates soient entreprises pour comprendre les impacts sur la biodiversité des eaux profondes, et veiller à ce que la prise de décision au niveau international, y compris émanant de l’Autorité internationale des fonds marins, soit transparente, responsable, inclusive et participative.
  • Élaborer et donner la priorité aux approches minières qui minimisent les répercussions sociales, environnementales et climatiques. Pour ce faire, il est nécessaire de coopérer pour concevoir des solutions et des technologies circulaires qui réduisent la consommation globale de minerais de transition, favorisent la réutilisation des matières et réduisent l’empreinte carbone du secteur.

 

Renforcer la gouvernance et la lutte contre la corruption :

  • Adopter et défendre la divulgation exhaustive des contrats et des licences (notamment les annexes), des paiements aux gouvernements au niveau des projets par les sociétés minières et les négociant·e·s en matières premières et des informations sur la propriété réelle, ainsi que la transparence dans la passation des marchés de biens et de services. La norme de l’ITIE constitue un point de départ pour garantir la transparence de l’extraction minière.
  • Veiller à ce que les sociétés minières divulguent des informations complètes sur leurs activités de responsabilité sociale des entreprises (RSE), et que ces dernières soient fondées sur les besoins réels des populations.
  • Identifier et atténuer explicitement les risques de corruption dans toutes les activités et opérations, en accordant une attention particulière aux processus à haut risque tels que l’octroi de licences, de permis et d’autorisations, les marchés publics, la vente et le commerce de matières premières, et les entreprises d’État. Le Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais, l’outil d’intégrité des entreprises du secteur minier responsable et l’outil d’évaluation des risques de corruption des prix miniers de Transparency International sont des points de départ pour initier ce travail.
  • Mettre en œuvre le principe de diligence raisonnable en matière d’intégrité, y compris les critères relatifs aux personnes aptes et appropriées, pour tou·te·s les participant·e·es à la chaîne d’approvisionnement en minerais.
  • Publier systématiquement les rapports d’Étude d’Impact Environnemental et Social et veiller à ce qu’ils soient réellement utilisés comme outil de prise de décision sur la manière et le lieu d’opérer.
  • Mettre en œuvre des cadres juridiques pour protéger les droits des militant·e·s, des lanceur·se·s d’alerte, des défenseur·se·s des droits humains et des terres, des journalistes et des médias indépendants, et démanteler les lois et les politiques qui entravent la liberté de la société civile et des médias.

 

Assurer une transition équitable à l’échelle mondiale :

  • Empêcher les élites politiques et commerciales de s’emparer des minerais de transition pour leur profit personnel. Cette pratique réduit les avantages pour les citoyen·ne·s, creuse et maintient les inégalités et augmente les coûts des minerais de transition.  
  • Mettre en œuvre une gestion transparente et équitable des revenus et des taxes, notamment la planification de la volatilité des revenus. Assurer la création de fonds spécifiques dédiés aux revenus des activités minières, permettant un meilleur suivi et une meilleure traçabilité de ces fonds.
  • Affecter les revenus à des projets de développement durable qui favorisent une transition juste et une diversification économique, et veiller à ce que les communautés de première ligne, en particulier les femmes, tirent profit de l’exploitation minière. 
  • Veiller à ce que les minerais de transition soient le moteur d’une transition énergétique juste pour tous les pays, et pas seulement les pays développés. Il s’agit notamment de garantir un soutien et des investissements au niveau mondial pour permettre aux pays producteurs de développer des économies plus fortes et de créer de l’emploi, par exemple par le biais du traitement des minerais de transition dans le pays, et de l’approvisionnement local. 
  • Donner la priorité aux politiques et aux investissements visant à réduire la consommation, notamment en augmentant le financement et les ressources pour les transports publics, l’efficacité énergétique et d’autres initiatives de réduction de la demande, et en investissant dans le recyclage et la réutilisation des matériaux.
  • Instaurer et renforcer des espaces mondiaux, nationaux et locaux sûrs pour que les personnes s’engagent significativement en faveur de la politique et de la législation en matière de transition énergétique, en accordant une attention particulière aux espaces destinés aux groupes traditionnellement marginalisés tels que les femmes et les minorités de genre, les peuples autochtones, les minorités ethniques et les jeunes.

 

En quête d’une vision commune de l’extraction des minerais de transition en Afrique

Cette tribune a d’abord été publiée en anglais dans le média sud-africain Daily Maverick.

Lisez nos recommandations pour une vision africaine commune sur les minerais de transition ici.

Les minerais dont disposent la Zambie et les autres nations africaines ont un rôle primordial à jouer dans un monde à faible émission de carbone. Néanmoins, il est essentiel de mener des réformes pour que nos populations bénéficient de la richesse créée par ces minerais, explique Nsama Chikwanka.

C’est une histoire qui ne cesse de se répéter à travers le monde : celle d’une nation qui pense pouvoir s’enrichir après la découverte de ressources minérales sur son territoire.

La population se prend alors à espérer que ses écoles, ses routes et son système de santé s’améliorent. Or la collectivité ne tire jamais profit de la richesse créée par ces ressources. En effet, ce sont les élites qui s’en emparent pour la transférer sur des comptes bancaires offshore ou financer un train de vie extravagant.

La Zambie a aujourd’hui l’occasion de mettre fin à ce schéma destructeur.

Si la demande en matières premières explose, c’est parce que le monde en a besoin pour garantir un avenir énergétique propre. Or la Zambie dispose de réserves abondantes de deux minerais essentiels : le cobalt et le cuivre, utilisés dans les technologies solaires et éoliennes, ainsi que dans la production de véhicules électriques. 

Aujourd’hui, le monde se rue sur ces matériaux pour les extraire.

Le 18 janvier dernier, le département d’État des États-Unis a publié un protocole d’accord avec la Zambie et la République démocratique du Congo (RDC) pour créer une chaîne d’approvisionnement de batteries pour les véhicules électriques. Selon ce protocole d’accord, il ne s’agirait pas seulement d’extraire le cuivre et le cobalt dans ces pays : les batteries elles-mêmes y seraient traitées, fabriquées et montées.

Ce protocole suit un précédent communiqué fait en décembre dernier par Hakainde Hichilema, président de la Zambie, qui annonçait que la société californienne KoBold Metals investissait dans l’exploitation d’une nouvelle mine dans le pays. Financée par Bill Gates et Jeff Bezos, cette entreprise s’appuie sur l’intelligence artificielle pour découvrir les gisements de minerais servant à la construction des batteries.

Des consultations lacunaires

La convoitise suscitée par nos ressources naturelles n’a rien de nouveau, la Zambie étant un grand pays producteur de cuivre depuis plus d’un siècle. 

Mais la demande de cuivre pourrait tripler d’ici 2040. Et compte tenu de la ruée qui se profile, nous ne devons pas reproduire les erreurs du passé. L’augmentation des prix du cuivre n’a jamais entraîné une baisse de la pauvreté et des inégalités dans notre pays. À ce jour, la Zambie reste une nation profondément inéquitable.

Si nous voulons que notre cuivre et notre cobalt favorisent notre développement et bénéficient à toute la population zambienne, il est nécessaire de mener d’importantes réformes politiques et juridiques.

La politique de développement des ressources minérales de 2022 et son plan de mise en œuvre, approuvés par le gouvernement du pays en novembre dernier, nous ont donné une chance unique d’œuvrer en ce sens. Cette politique définit la vision du gouvernement, qui veut maximiser les bénéfices qu’offrent les minerais en Zambie.

Pour y parvenir, il est nécessaire de réaliser de véritables consultations auprès du public, en particulier auprès des communautés vivant à proximité des sites d’extraction et qui sont directement affectées par l’exploitation minière.

Malheureusement, les consultations publiques sur la nouvelle politique ont été effectuées à la hâte et comportaient d’importantes lacunes. Les problèmes les plus urgents du secteur minier ne seront donc pas gérés, pas plus que les attentes citoyennes ne seront prises en compte. 

Dans le cadre de ma mission de coordinateur national de Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) en Zambie, coalition de plus de 50 organisations de la société civile issues des 10 régions du pays et qui milite pour la transparence et la redevabilité du secteur extractif, je me suis longuement entretenu avec les communautés minières sur l’espoir qu’elles ont de voir leur vie s’améliorer grâce aux ressources minérales de la Zambie. Sur la base de ces entretiens, nous estimons que plusieurs mesures spécifiques peuvent être prises en ce sens. 

Tout d’abord, nous devons veiller à ce que toutes les décisions relatives à l’extraction des minerais s’appuient sur une évaluation complète des véritables coûts et bénéfices. Nous devons étudier pour cela les conséquences sur les populations, les terres, les forêts et l’eau. Quelles seront les répercussions de l’extraction des minerais sur la santé et la sécurité de notre population, mais aussi sur notre patrimoine naturel intangible et irremplaçable ? L’exploitation minière est étroitement corrélée aux autres secteurs. Nous avons donc besoin d’un cadre institutionnel qui favorise une extraction respectueuse de nos moyens de subsistance et de notre environnement. 

Pour ce faire, il est nécessaire de procéder à une consultation constructive et inclusive et d’impliquer toutes les communautés touchées par l’extraction des minerais.

Ensuite, la législation de la Zambie sur l’extraction minière doit se doter d’un mécanisme infranational de distribution des revenus. En effet, un tel cadre contraindrait les sociétés minières à verser de l’argent aux autorités provinciales, comme elles le font déjà chez notre voisin, le RDC.

Grâce à ce mécanisme, les communautés affectées par l’extraction des minerais pourraient recevoir une part attitrée des bénéfices que tire la Zambie de cette exploitation, être dédommagées des bouleversements qu’entraîne cette extraction dans leurs régions, et utiliser les fonds pour répondre aux besoins qui sont les leurs.

Enfin, comme les femmes sont les premières à souffrir des effets délétères de l’exploitation, nous devons leur allouer des fonds spécifiques pour les soutenir. Les inégalités de genre sont plus prononcées dans les pays qui dépendent fortement du secteur extractif, car ce sont les femmes qui sont le plus souvent désavantagées par les effets de l’extraction minière sur l’utilisation des terres, la pollution, les soins et l’exploitation sexuelle. 

Et notre politique minière ne doit pas soutenir uniquement les femmes. Elle doit aussi aborder le problème du travail des enfants dans ce secteur, pour que les jeunes de notre pays puissent profiter de leur enfance.

La politique minière 2022 ne dit rien sur la protection des enfants, alors que leur exploitation est endémique dans le secteur minier. 

Une transition équitable pour l’Afrique

Ces mesures spécifiques font partie des actions qui peuvent contribuer à favoriser le développement de la Zambie grâce à la révolution verte mondiale. Et cela vaut pour tous les pays riches en minerais. 

L’Afrique possède 30 % des réserves mondiales de minerais, dont beaucoup sont essentiels pour garantir un monde à faible émission de carbone. Le continent détient notamment 19 % des réserves mondiales de métaux nécessaires pour construire un véhicule électrique alimenté par une batterie standard.

Le RDC, Madagascar, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et le Mali, entre autres nations africaines, auront un rôle essentiel à jouer, car ces pays devront fournir les matières premières nécessaires pour répondre à l’essor de la demande en technologies d’énergies renouvelables.

Dans une déclaration publiée juste avant la récente conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27), plus de 250 organisations de la société civile ont mis en évidence les mesures clés que doivent déployer nos dirigeant·e·s si nous voulons une transition énergétique juste et équitable pour nos populations. La participation communautaire, la bonne gouvernance, la redevabilité et la transparence sont autant de principes en toile de fond qui doivent être appliqués à l’échelle du continent.

En adoptant une vision commune de l’exploitation des richesses naturelles de l’Afrique, nous pouvons lutter contre la pauvreté, les inégalités et les disparités de genre, financer l’éducation et le système de santé et mettre fin à la malédiction des ressources qui ronge une grande partie de notre continent depuis si longtemps.

Cette semaine, Le Cap accueille deux conférences, où les délégations pourront participer à l’élaboration d’une vision commune de l’extraction des minerais de transition en Afrique : l’African Mining Indaba, conférence émanant du secteur, et l’Alternative Mining Indaba (AMI), créée il y a 13 ans car la société civile était historiquement exclue de la première conférence. Pour que le succès soit au rendez-vous, il est nécessaire de mettre les populations, notamment les communautés touchées par l’exploitation minière, au cœur de cette vision, et de leur donner voix au chapitre dans les décisions qui les concernent.   

Nsama Chikwanka est le coordinateur national de Publiez ce que vous payez (PWYP) Zambie, qui fait partie du mouvement mondial pour une industrie extractive ouverte et responsable. PWYP Zambie soutient les communautés affectées par l’exploitation minière et est une coalition de plus de 50 organisations de la société civile de toutes les régions du pays.

 

Gabon : une histoire d’espoir et de détermination

Après presque dix ans d’absence, le Gabon a réintégré l’ITIE. Publiez Ce Que Vous Payez Gabon a joué un rôle essentiel dans ce processus. Paul Aimé Bagafou présente les leçons apprises en cours de route.

Le chemin du Gabon en vue de sa réintégration à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), la norme mondiale pour assurer une gouvernance appropriée des ressources pétrolières, gazières et minières, s’est avéré long et difficile.

A plusieurs reprises, les chances permettant à notre pays de recouvrer le statut de membre de l’ITIE, perdu en 2013, semblaient bien minces. Nous avons été confronté·e·s à de nombreuses difficultés, notamment lorsque PCQVP Gabon et d’autres groupes de la société civile ont fait l’objet de harcèlement et d’intimidation.

Et pourtant, nous n’avons jamais fléchi, jouant un rôle fondamental dans le cadre de la réintégration du Gabon à l’ITIE en octobre 2021.

Nous avons maintenant la possibilité d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire de notre secteur extractif : un secteur qui a longtemps été mis à mal en raison de sa gestion inappropriée et de la corruption l’entourant, sans oublier les groupes d’intérêt qui ont accaparé le butin provenant de nos abondantes ressources naturelles aux dépens des citoyen·ne·s gabonais.

Le récit de ce chemin accompli, les revers et les progrès réalisés en cours de route, offre des leçons marquantes aux organisations de la société civile du monde entier qui doivent faire face à des obstacles similaires, pour veiller à une plus grande redevabilité et transparence des industries extractives de leurs pays.

Une fenêtre d’opportunités

Tout d’abord, il convient de souligner quelques éléments contextuels essentiels.

Cinquième producteur de pétrole d’Afrique et doté d’autres richesses naturelles, notamment des forêts tropicales et des sols fertiles, le Gabon a connu une croissance économique plutôt forte au début des années 2010, ce qui lui a permis d’accéder au statut de pays à revenu intermédiaire, même si une grande partie de la population est restée prisonnière de la pauvreté.

Le pétrole représente 80 % des exportations du Gabon et 45 % de son PIB, mais notre forte dépendance à son égard nous a mal préparé·e·s lorsque les turbulences sont survenues.  

Celles-ci sont arrivées avec le choc pétrolier de 2014, les violences politiques qui ont éclaté à la suite des élections de 2016, puis la pandémie de COVID-19.

La pauvreté et le chômage ont augmenté, la croissance économique a marqué le pas, nos réserves de change ont diminué et les filets sociaux protégeant les plus pauvres de la société se sont désintégrés.

En désespoir de cause, en 2017, le Gabon s’est tourné vers le Fonds monétaire international (FMI) pour recevoir du soutien.

Ainsi, la société civile a eu l’occasion de faire pression en vue de la réintégration du Gabon à l’ITIE, révoquée en 2013 après avoir omis de soumettre son rapport de validation dans les délais impartis.

Notre coalition a insisté pour que l’accès aux fonds du FMI soit conditionné au retour du Gabon à l’ITIE. Notre gouvernement a accepté. Par conséquent, un espace dédié à la société civile a été instauré. Cependant, nous avons d’abord dû nous organiser. Une société civile légitime et organisée qui peut participer librement au contrôle des activités extractives constitue une condition préalable à la réintégration à l’ITIE. Et nous en étions loin.

Sous pression

Pour les organisations de la société civile (OSC), les années qui ont suivi l’éjection du Gabon de l’ITIE ont été sombres.

Le groupe de la société civile travaillant sur l’ITIE s’est effondré, et les membres de la coalition PCQVP au Gabon ont dû faire face à une pression intense de la part des autorités.

Marc Ona Essangui, alors coordinateur national de PCQVP Gabon et membre du comité multipartite chargé de mettre en œuvre l’ITIE du Gabon, et Georges Mpaga, qui ont créé la coalition de PCQVP en 2007, ont tous deux été victimes de harcèlement.

En 2013, par exemple, Marc Ona Essangui a été condamné à six mois de prison avec sursis et à une amende de cinq millions de francs CFA pour diffamation contre le chef de cabinet du président du Gabon, après avoir affirmé qu’il possédait la filiale locale du groupe agroalimentaire singapourien Olam.

Remettre les OSC sur les rails  

Finalement, ces obstacles ont été surmontés.

Après une première tentative infructueuse en 2018, PCQVP Gabon a finalement réussi à réunir l’ensemble des acteur·rice·s de la société civile travaillant sur la bonne gouvernance du secteur extractif, à les former sur le fonctionnement de l’ITIE et à organiser un vote inclusif pour élire les représentant·e·s au groupe multipartite de l’ITIE.  

Nous avons adopté une charte sur la représentation de la société civile au sein de l’ITIE et – point crucial -, nous avons intégré les organisations de femmes au cœur du processus.  

Pour mener à bien ce travail, nous avons reçu le soutien technique et financier du secrétariat international de PCQVP, dans le cadre de ses efforts continus visant à renforcer et à étendre l’influence de la société civile dans l’ITIE. 

Enfin, en 2021, nos efforts ont été récompensés et le Gabon a été réintégré au sein de l’ITIE. 

Des avantages tangibles

Pour la société civile, les avantages du retour du Gabon dans l’ITIE sont incommensurables. 

Lorsque le Gabon était exclu de l’Initiative, la société civile se retrouvait les mains liées alors qu’elle tentait de renforcer la redevabilité et la transparence du secteur extractif.

Nous n’avions aucun moyen de pression réel pour obtenir la divulgation des contrats pétroliers, ou encore des rapports d’évaluation de l’impact social et environnemental. Nous étions paralysé·e·s dans nos activités visant à défendre les intérêts des communautés directement touchées par l’extraction.

Le vent est en train de tourner, la réintégration du Gabon à l’ITIE porte déjà ses fruits. 

En juin 2022, par exemple, le groupe multipartite de l’ITIE a adopté son plan de travail. Nous disposons maintenant d’une feuille de route pour renforcer la gouvernance et la transparence dans le secteur extractif gabonais. Ce plan veille à la durabilité de la croissance économique insufflée, pour qu’elle profite à l’ensemble de la population, et contribue à leur prospérité. Grâce à la société civile, ce plan inclut des travaux visant à garantir que les communautés bénéficient davantage des projets extractifs par le biais de transferts infranationaux. La société civile a également réussi à faire en sorte que le plan de travail intègre des activités qui favoriseront la transparence des contrats, notamment une étude diagnostique sur les mécanismes de transparence et de contrôle citoyen pour l’attribution des contrats, des licences, etc.

Des leçons essentielles 

Un certain nombre de leçons importantes peuvent être tirées de notre parcours pour réintégrer l’ITIE :

  • disposer d’une coalition résiliente est indispensable pour identifier les opportunités permettant la réalisation des objectifs. Une société civile divisée est synonyme d’échec, mais il existe toujours des solutions ;
  • les autorités et les entreprises résistent souvent au changement et peuvent considérer la société civile avec méfiance, bien que notre objectif consiste à améliorer le quotidien des personnes. Les OSC doivent donc assurer la collaboration la plus positive possible, afin que la confiance s’installe et que des progrès soient réalisés. Ces efforts peuvent nécessiter du temps ;
  • la société civile doit s’approprier la lutte. Les autorités doivent également se rendre compte que la société civile dans son ensemble est mobilisée, et que cette mobilisation inclut les personnes qui travaillent directement avec les communautés affectées par les projets extractifs, ainsi que les communautés elles-mêmes. Les OSC doivent être capables de se déplacer librement et sans crainte pour favoriser cet engagement auprès des communautés, et contribuer à leur autonomisation ;
  • le guide de l’ITIE à l’intention de la société civile représente un outil pratique, contenant des mesures concrètes permettant aux OSC de maximiser leur influence, notamment la sélection des meilleur·e·s représentant·e·s de la société civile, et de veiller à leur redevabilité à l’égard des collèges ;
  • les OSC doivent s’efforcer d’accroître leur visibilité en participant à toutes les activités liées à leur problématique. Cela leur permet d’afficher leur expertise et de mettre en avant la précieuse contribution sociétale qu’elles peuvent apporter ; 
  • avant tout, les OSC ne doivent pas se décourager. Veiller à ce que les citoyen·ne·s bénéficient des ressources naturelles de leur pays est un travail de longue haleine. Constater des progrès peut prendre du temps.

Le statut ITIE retrouvé du Gabon témoigne de la détermination de notre coalition.  

Mais ce n’est qu’une étape d’un long voyage. Pour atteindre notre objectif visant un secteur extractif durable, redevable et transparent, de nouveaux défis nous attendent, et nous sommes prêt·e·s à les relever.

Paul Aimé Bagafou est le Coordinateur national de PCQVP au Gabon. Fervent défenseur des droits humains et fort de plus de 21 ans d’expérience dans le secteur associatif, Paul Aimé a fondé l’ONG Observatoire citoyen des industries extractives (OCIE) en 2016. Il possède une solide expertise dans le secteur des hydrocarbures : il a notamment été secrétaire général de l’Organisation nationale des employés du pétrole (ONEP) du Gabon de 2013 à 2017.

Profonde inquiétude quant à d’éventuelles poursuites contre Ketakandriana Rafitoson à Madagascar

Le Comité de pilotage Afrique de Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) est profondément préoccupé par l’éventuelle poursuite judiciaire de Ketakandriana Rafitoson, Coordinatrice Nationale de PCQVP et Directrice Exécutive de Transparency International Initiative – Madagascar (TI-MG). 

Ketakandriana et le Président du conseil d’administration de TI-MG, Dominique Rakotomalala, ont été convoqués par les autorités sur la base d’accusations déposées par le Groupement des Exportateurs des Litchis (GEL). Cela fait suite au dépôt d’une dénonciation de faits potentiels de corruption, de fraude et de blanchiment d’argent dans le secteur du litchi à Madagascar, fait par TI-MG auprès du Pôle Anti-corruption (PAC) de Madagascar et du Parquet National Financier (PNF) en France, le 10 novembre dernier.  Le but de la démarche est d’amener ces juridictions à ouvrir des investigations officielles qui confirmeront ou infirmeront ces soupçons, et à prononcer des peines en conséquence, le cas échéant. 

“Il est très inquiétant de voir notre collègue convoquée par les autorités après avoir fait son travail de dénonciation de malversations potentielles. Nous suivons la situation de près et nous espérons que les autorités prendront des mesures immédiates pour mettre fin à ce qui semble être du harcèlement de la part du secteur de l’industrie.”

a déclaré Fatima Mimbire, représentante du Comité de pilotage Afrique de PCQVP pour l’Afrique orientale et australe. 

“Un espace civique libre est vital pour un pays désireux de mettre fin à la corruption et d’encourager la responsabilité. Les défenseur·e·s des droits humains sont essentiels pour que cela puisse se produire.”

 

Les minerais de transition pourraient transformer la RDC, mais les communautés locales doivent avoir leur mot à dire

Cette tribune a d’abord été publiée en anglais le 13 novembre 2022 dans The Independent – Ouganda.

Les minerais de transition pourraient transformer la République démocratique du Congo (RDC), mais les communautés locales doivent avoir leur mot à dire, écrit Jean-Claude Katende, coordinateur de Publiez Ce Que Vous Payez RDC.

Depuis le 19e siècle et le régime colonial assassin instauré par la Belgique et Léopold II, les ressources naturelles du Congo sont pillées, au détriment de la population.

Depuis près de 150 ans, la corruption ainsi qu’une extrême violence entachent l’extraction de notre caoutchouc, de notre ivoire, de notre or, de notre bois et de nos diamants. Les responsables de ces ravages sont à la fois locaux·ales et étranger·ère·s. Pendant ce temps-là, la plupart des Congolais·e·s ne profitent pas des avantages économiques ou sociaux issus de nos richesses naturelles et dépérissent dans la pauvreté.

Aujourd’hui, les minerais de la République démocratique du Congo (RDC) sont convoités pour propulser le monde vers un avenir énergétique propre.

Il est urgent de décarboner le monde pour endiguer le chaos climatique et veiller à ce que notre planète reste habitable. Selon une estimation, il faudra pour cela multiplier par six la production de minerais tels que le cobalt, le lithium, le nickel et le cuivre, nécessaires pour produire, transporter, stocker et utiliser l’électricité générée par des énergies plus propres comme le vent et le soleil. 

La RDC et d’autres parties d’Afrique qui détiennent de vastes réserves de ces minerais de transition joueront alors un rôle clé.  

Un tremplin pour le développement ?

Le cobalt est l’un des minerais les plus recherchés au monde ainsi que l’un des principaux composants des batteries lithium-ion qui alimentent notamment les véhicules électriques.

La RDC est de loin le plus grand pays producteur de cobalt : en 2020, quatre mines congolaises ont produit à elles seules 41% de l’approvisionnement mondial en cobalt. L’Afrique, quant à elle, détient 19% des réserves mondiales en métaux nécessaires pour fabriquer un véhicule électrique avec une batterie standard.  

L’essor actuel des minerais de transition va continuer de s’accélérer.

La Banque mondiale a conclu que la production de minerais tels que le cobalt pourrait augmenter de près de 500% afin de répondre à la demande en technologies d’énergies renouvelables. Par ailleurs, selon une étude menée par l’Université d’État du Michigan, la valeur des gisements de minerais bruts inexploités en RDC dépasse les 24 milliards de dollars.

Correctement utilisée, cette richesse pourrait devenir un tremplin qui nous permettrait de développer notre pays et d’offrir à nos citoyen·ne·s les services sociaux dont ils·elles ont tant besoin : de l’eau propre, de l’électricité, des routes en bon état, des écoles, des soins de santé et une sécurité économique.

Mais pour le moment, nous en sommes encore loin.

L’exploitation des minerais de transition continue de profiter à la classe dirigeante et aux entreprises, aux dépens des citoyen·ne·s lambda. Le secteur extractif est toujours en proie à la corruption, à une mauvaise gouvernance ainsi qu’à des violations des droits humains et de l’environnement. Si cela continue, il n’offrira pas de véritable opportunité de transformation à la RDC ni à l’Afrique et ne fera qu’exacerber la misère qui accompagne depuis si longtemps l’exploitation de nos ressources naturelles. 

Des violations omniprésentes

Nous y faisons déjà face. Au Lualaba et au Haut-Katanga, les deux provinces qui se trouvent au cœur de l’industrie minière du cobalt et du cuivre en RDC, les violations des droits humains et la destruction environnementale sont monnaie courante. Les populations sont largement exclues des profits et des opportunités d’emploi générés par l’afflux d’entreprises minières internationales.

Le Ministère du Travail des États-Unis a estimé qu’environ 35 000 enfants travaillent dans les mines de cobalt en RDC, principalement dans des mines artisanales et à petite échelle. Des personnes qui ne sont pas officiellement employées par les sociétés minières extraient des minerais dans des conditions souvent déplorables et les vendent à des intermédiaires sur des marchés ouverts. Les minier·ère·s artisanaux·ales et autres résident·e·s locaux·ales sont victimes de violence et peuvent même être tué·e·s par les forces de sécurité pour avoir empiété sur les sites miniers industriels.

Pourtant, la pression est de plus en plus forte partout dans le monde pour faire changer cela et pour que la ruée vers les minerais utilisés pour les technologies d’énergies renouvelables ne s’accompagne pas des mêmes erreurs produites par le passé.

La dynamique du changement

Ce mois-ci, 250 organisations de la société civile issues de 62 pays différents ont interpellé les dirigeant·e·s mondiaux·ales ayant assisté à la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27) en Égypte. Leur objectif est d’initier un réel changement dans la manière dont les minerais sont extraits et utilisés et de chercher des solutions qui permettront de réduire la dépendance au secteur extractif.

Ces organisations, dont la coalition de Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) RDC fait partie, œuvrent dans plusieurs domaines, depuis la protection de l’environnement et des droits humains jusqu’à la lutte contre la corruption. Elles représentent différents groupes marginalisés, notamment les communautés locales, les femmes et les jeunes.

Un point clé de nos demandes est que les communautés concernées par l’exploitation minière à travers le monde soient consultées de manière significative et participent aux décisions affectant leur vie, qu’elles aient le droit de refuser de consentir à l’exploitation minière et que les minerais soient uniquement extraits selon les normes internationales les plus rigoureuses en matière de droits humains et de l’environnement.

Nous devons aussi veiller à ce que les communautés qui se trouvent en première ligne puissent bénéficier de l’exploitation minière. Des revenus doivent être alloués aux projets de développement durable permettant la diversification économique. En RDC, le système de collecte et d’allocation de ces revenus devrait être numérisé et la capacité des agents locaux chargés de mettre en œuvre des plans de développement à l’échelle des communautés locales devrait être renforcée.   

La lutte contre la corruption et une gouvernance renforcée comme conditions préalables

Il est essentiel que le marché des minerais de transition soit bien réglementé, transparent, juste et équitable. 

Pour cela, il faudra mener une lutte acharnée contre la corruption et le détournement de fonds, grâce à un système juridique impartial, plus fort et plus proactif.

La divulgation exhaustive des contrats miniers est essentielle pour éliminer la corruption et renforcer la gouvernance dans le secteur extractif. En tant que membre de l’Initiative pour la transparence des industries extractives, la RDC elle-même est tenue de respecter cette condition.

Nous devons écrire un nouveau chapitre de l’histoire de l’extraction des ressources naturelles en RDC mais aussi en Afrique : un chapitre dans lequel nos sociétés seront transformées de manière positive par les minerais de transition et dans lequel nous nous battrons pour mettre fin à la crise climatique à laquelle notre continent n’a que très peu contribué.

 

Fervent défenseur des droits humains, Jean-Claude Katende plaide depuis longtemps en faveur de la transparence et de la bonne gouvernance des industries extractives. Il est coordinateur national de PCQVP RDC, président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO) et vice-président de la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH). 

Les femmes revendiquent une part du boom de l'”or rouge” en Guinée

Au lieu de récolter les bénéfices du marché croissant de la bauxite en Guinée, les femmes en ont payé le prix fort. Elles tentent aujourd’hui de changer les choses, écrit Hadja Aicha Barry de Publiez Ce Que Vous Payez Guinée.

Lorsque le président guinéen Alpha Condé a été renversé le 5 septembre 2021 après 11 ans passés au pouvoir, les commentateurs internationaux n’ont pas tardé à souligner le fossé entre la pauvreté persistante de la Guinée et sa transformation en une puissance minière.

L’essor minier de la Guinée est dû aux vastes gisements de bauxite, la roche rougeâtre à partir de laquelle l’aluminium est produit, qui se trouvent sous la surface de notre sol. Nous en sommes le deuxième plus grand producteur au monde et possédons des réserves plus importantes que tout autre pays. La Chine importe de chez nous près de la moitié de sa bauxite et, avec la Russie, elle a investi des milliards de dollars dans l’exploitation minière en Guinée. Nos exportations sont passées d’un montant de 597 millions de dollars américains en 2015, à  3,3 milliards de dollars en 2020.

Cet essor ne s’accompagne pourtant pas d’une nouvelle ère de prospérité pour la population. Une grande partie des 13 millions de Guinéens restent prisonniers de la pauvreté, leur vie étant aussi précaire aujourd’hui qu’en 2015. Pendant les années où nos exportations de bauxite ont explosé, notre Indice de Développement Humain est resté désespérément bas. Et les femmes, en particulier, ne profitent pas des dividendes de l’exploitation minière.

Dysfonctionnement

L’incapacité à traduire le boom de la bauxite en Guinée – notre “or rouge” – en bénéfices tangibles pour la majorité de notre peuple, est liée au dysfonctionnement qui ronge le secteur minier guinéen depuis des années.

Ce dernier a fait l’objet d’accusations de corruption et de dommages environnementaux. Les communautés vivant à proximité des mines voient certains de leurs droits humains violés, lorsque des compagnies minières multinationales les chassent de leurs terres ancestrales.

Mais si tout cela est bien documenté, deux éléments importants sont souvent ignorés : l’impact disproportionné de l’exploitation minière sur les femmes et le peu de place accordée à leur voix dans les décisions concernant le secteur.

Les femmes paient le plus lourd tribut

La Guinée, comme tant d’autres pays, souffre d’inégalités liées au genre. Notre société est fortement dominée par les hommes, et les rôles décisionnels des femmes, tant au sein de nos propres familles que dans la société en général, sont souvent limités en raison de facteurs socioculturels.

Étant engagée pour une meilleure gouvernance des ressources naturelles, particulierement en tant que membre de la coalition guinéenne de Publiez Ce Que Vous Payez, un mouvement mondial agissant pour un secteur extractif transparent et redevable, je vois quotidiennement comment ces inégalités se reflètent dans l’exploitation minière. Les femmes bénéficient moins des avantages du secteur que les hommes, et subissent davantage ses conséquences négatives.

À Boké, la région du nord-ouest où se concentre le boom de la bauxite en Guinée, les dommages causés par l’exploitation minière comprennent la baisse de la fertilité des sols ; la diminution des terres disponibles pour la culture ; la pollution des terres par le dépôt d’une poussière rouge chargée de particules fines répandues par les camions qui transportent la bauxite, ainsi que des pénuries d’eau, le manque d’électricité ;  d’infrastructures de base ( routes, écoles, centres de santé etc.….). Les femmes en sont les premières victimes : ce sont elles qui doivent trouver d’autres sources de nourriture et voyager plus loin pour aller chercher de l’eau et du bois de chauffe. En cas de déplacement forcé, elles n’ont souvent aucun droit liés à la propriété des terres et ne reçoivent pas de compensation. Elles sont enfin exposées à la violence basée sur le genre, un fléau dans les zones minières.

Pourtant, ce sont les hommes que les mines emploient le plus souvent, et les dirigeants communautaires masculins qui reçoivent généralement une compensation financière des sociétés minières pour leurs activités dans leur région. Les femmes sont également sous-représentées dans les sphères administratives, politiques et dans les entreprises minières. Selon l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE)-Guinée – et grace au plaidoyer que nous avons mené pour obtenir des données désagrégées par sexe – sur environ 20 sociétés minières actives répertoriées à Boké, une seule femme occupait un poste de direction en 2019.

La voie à suivre

Aux côtés d’autres femmes de la société civile, je me bats pour que nous soyons mieux représentées dans le secteur minier en Guinée et pour que nous recevions une part équitable des bénéfices du secteur.

Concrètement, cela signifie travailler à tous les niveaux : auprès des communautés d’abord, en les sensibilisant aux droits des femmes et en suscitant l’intérêt des femmes pour la gouvernance des industries extractives au niveau local. Auprès des entreprises ensuite, notamment en les poussant à établir des quotas pour les femmes employées et à créer des partenariats avec les femmes au niveau local.  Auprès des autorités enfin, pour par exemple nous assurer que 20% du fonds de développement local versé par les entreprises extractives bénéficient aux femmes.

Mais il nous faut aussi un cadre plus global, et c’est pourquoi nous demandons une politique nationale, et notamment un code minier, sensibles au genre. En tant que membre de l’ITIE, la norme mondiale de bonne gouvernance dans le domaine du pétrole, du gaz et des ressources minérales, la Guinée doit encourager le leadership des femmes dans le secteur extractif. Nous veillons à ce que nos autorités prennent des mesures concrètes dans ce sens.

Tout ceci contribue à mettre fin à la misère que l’expansion de l’exploitation minière a apportée à de nombreuses femmes guinéennes.

Grâce à d’autres actions – notamment l’amélioration de la transparence et de la responsabilité de l’industrie minière par la publication intégrale des contrats miniers, et le partage plus équitable des bénéfices tirés de nos ressources naturelles, la Guinée peut mettre fin à la “malédiction des ressources” qui a accompagné sa croissance en tant que puissance minière. Nos abondantes réserves de bauxite pourront alors être une bénédiction pour tout notre peuple et contribuer à renforcer le fragile tissu politique et social de la Guinée.

Hadja Aicha Barry est membre fondatrice et Vice-présidente de PCQVP Guinée, et membre du comité de pilotage de l’ITIE-Guinée, où elle travaille particulièrement sur les droits des femmes. Elle a fondé la Coalition Guinéenne des Femmes pour les Mines et le Développement Durable.

Cette opinion a d’abord été publiée dans le média Deutsche-Welle Afrique.